samedi 21 janvier 2012

Pourquoi la recherche ne nous sauvera pas


L'écrivain britannique Arthur C. Clarke a écrit autrefois qu'une technologie suffisamment avancée serait impossible à distinguer de la magie. Pour la plus grande part de notre population, ce point est largement dépassé. La recherche scientifique est devenue la réponse unique et quasi incantatoire à toutes les contraintes que nous impose l'univers, et le scientifique, affublé de sa blouse blanche et de sa cornue, a pris la place du magicien des mauvais romans de fantasy dans notre imaginaire collectif.

Bien sûr, il n'est pas toujours bienveillant et si cette position est encore minoritaire, il ne manque pas, sur les franges du monde vert de luddistes radicaux qui, inversant l'opinion commune, font de la science et de la technique la source de tous nos maux avant de nous enjoindre à mener une vie chasse et de cueillette qui, pour la plupart d'entre nous, signifierait une vie relativement courte de gibier.

Lord Voldemort au lieu d'Albus Dumbledore, mais avec toujours la même omnipotence.

La réalité est, bien entendu, différente et ceux qui espère que la recherche scientifique et le progrès technique vont nous résoudre les problèmes qui assaillent notre civilisation risquent d'être déçus.

La science est avant tout une méthode de recherche destinée à obtenir des informations sur le monde qui nous entoure, ces informations pouvant être ensuite utilisée pour le manipuler. Elle a été développée pour la première fois par le philosophe arabe Abū 'Alī al-Ḥasan ibn al-Ḥasan ibn al-Haytham au Xème siècle dans sa Critique de Ptolémée. (oui, je sais, ce n'est pas gentil pour Riposte Laïque, mais si Christine Tassin avait de la culture, nous l'aurions tous remarqué)

Nous recherchons la vérité pour elle-même. Et ceux qui recherchent une chose pour elle-même ne se laissent pas distraire par d'autre.

Al-Haytham : père de la science
La méthodologie de al-Haytham fut ensuite reprise par divers intellectuels occidentaux, d'abord Roger Bacon, puis René Descartes qui lui donna sa première définition formelle. A la base il s'agit de se confronter à la réalité du monde pour formuler une hypothèse que l'on testera, via une expérience, pour vérifier sa validité. Cette expérience n'a d'ailleurs pas pour but de vérifier que l'hypothèse en question vraie, seulement qu'elle n'est pas fausse, et peut donc être utilisée comme un modèle approximatif de notre réalité.

Associée à l'exploitation des premières ressources fossiles au début du XVIIIème siècle, cette méthode nous a permis d'étendre considérablement le champs de nos connaissance et de développer une technologie extraordinairement complexe et puissante. De là est venue l'idée selon laquelle la science, et le génie humain dont elle procédait, pourrait vaincre toutes les difficulté. On retrouve ce thème dans la philosophie un peu naïve d'un Auguste Comte, mais aussi dans les romans Jules Vernes. On en trouve l'illustration dans sa seule œuvre apocalyptique : L'Eternel Adam

Oui, en vérité, la comparaison entre ce qu’était l’homme, arrivant nu et désarmé sur la terre, et ce qu’il était aujourd’hui, incitait à l’admiration. Pendant des siècles, malgré ses discordes et ses haines fratricides, pas un instant il n’avait interrompu la lutte contre la nature, augmentant sans cesse l’ampleur de sa victoire. Lente tout d’abord, sa marche triomphale s’était étonnamment accélérée depuis deux cents ans, la stabilité des institutions politiques et la paix universelle, qui en était résulté, ayant provoqué un merveilleux essor de la science. L’humanité avait vécu par le cerveau, et non plus seulement par les membres; elle avait réfléchi, au lieu de s’épuiser en guerres insensées – et c’est pourquoi, au cours des deux derniers siècles, elle avait avancé d’un pas toujours plus rapide vers la connaissance et vers la domestication de la matière... […] Oui, l’homme était grand, plus grand que l’univers immense, auquel il commanderait en maître, un jour prochain...

Cette vision n'a, évidemment, qu'un rapport lointain avec la réalité. En plus d'être une méthode, la recherche scientifique est également une forme d'investissement : on dépense des ressources – humaines, énergétiques, matérielles – pour fabriquer du capital, en l’occurrence toute une série de connaissances et de techniques.

Le problèmes des investissements, c'est que contrairement à la magie, ils sont soumis à la loi des rendements décroissants. Comme on s'attaque en premier aux problèmes les plus faciles, plus le temps avance, plus il faut investir pour obtenir des résultats, jusqu'au moment ou le coût des investissements dépassent le gain qu'on peut logiquement en attendre.

A ce moment-là il est temps de passer à autre chose.

Il était encore possible au XIXème siècle de faire des découvertes majeures dans son garage. Pierre et Marie Curie ont découvert le polonium et le radium avec des moyens sans commune mesure avec ceux qui sont utilisés aujourd'hui pour synthétiser quelques atomes d'éléments ultra-lourds. Cette possibilité a aujourd'hui pratiquement disparu, même dans le domaine informatique. Des astronomes amateurs peuvent encore découvrir des comètes ou des planétoïdes, Heiko Bleher peut encore parcourir les jungles à la recherche de nouvelles espèces de poisson, mais pour l'essentiel, la recherche scientifique est le domaine des gros laboratoires très bien financés.

Ce que cela signifie, c'est que le rendement de la recherche scientifique baisse de manière tendancielle. Jonathan Huebner, un physicien travaillant au Navail Air Warfare Center, a ainsi démontré que si on la mesure en brevet par habitant, le rendement de la recherche scientifique baisse depuis 1873, et représentait en 1995 à peu prés les deux tiers de ce qu'elle était alors.

La fin d'une technologie : la mise au musée d'Atlantis
Si cela ne correspond pas à notre expérience quotidienne, c'est que nous compensons en investissant toujours plus de ressources dans la recherche. Ces investissement ne se limitent pas au financement direct de la recherche. Il inclut toutes les dépenses d'éducation, sans lesquels il ne peut y avoir de recherche, mais aussi une partie des dépenses culturelles – par exemple l'entretien des bibliothèques.

Si notre capacité à investir devait se réduire, la recherche scientifique risque fort de ne plus rien produire du tout. Et tous ceux qui ont lu le rapport Meadows savent que c'est précisément ce qui est sur le point d'arriver.

D'ailleurs, lorsqu'on examine l'état réel de la science, on s’aperçoit qu'elle ne progresse plus de manière significative que dans quelques secteurs – essentiellement l'informatique et les biotechnologies. Partout ailleurs les percées sont devenues une chose du passée. La physique moderne tourne autour de la théorie de la relativité et de la mécanique quantique, deux théories formulées au début du XXème siècle. Dans le domaine de l'énergie, la dernière percée – le nucléaire civil – date des années quarante, et les technologies miracles qu'on nous présente aujourd'hui sont souvent dans les tuyaux depuis des décennies et risquent fort d'y rester.

Même là où le progrès est encore rapide, comme dans l'informatique, il se traduit de moins en moins par des avantages concrets pour le commun des mortels. La mémoire vive et les capacités graphiques des ordinateurs continue de croître, mais cela ne se traduit plus par des gains de productivité, sauf dans des domaines très spécifiques – l'édition de Libre Office sur laquelle je travaille n'est que marginalement plus efficace que le Clarisworks de ma jeunesse.
Une voiture électrique en train de charger

Nous en arrivons même, pour préserver l'illusion d'un progrès rapide dans tous les domaines, nous recyclons des technologies qui faisaient fureur au début du XXème siècle. C'est par exemple le cas de la voiture électrique, qui dominait le marché américain entre 1897 et 1920, avec des performances sensiblement identiques à celles qu'on nous proposent aujourd'hui.

Nous avons même abandonné quelques technologies, même si nous refusons de l'admettre. Il n'y a plus de supersoniques civils dans no cieux, par exemple, et l'industrie spatiale est retournée aux fusées des années soixante.

Ce phénomène a toutes les chances de s'accélérer au fur et à mesure que nous nous heurterons aux limites de la croissances et que nos ressources commenceront à décliner.

En effet, les connaissances et les techniques que produit la recherche scientifique doivent être constamment entretenues, faute de quoi elles se dégradent et sont oubliées. Cela est arrivé relativement fréquemment dans l'histoire. Les grecs ont ainsi oublié l'écriture après la chute des cités mycéniennes. Cela peut nous arriver à nous aussi.

Nous disposons d'un système de formation extrêmement complexe et coûteux, dont le but principal est d'éviter que nos connaissances se perdent, en formant constamment de nouveaux spécialistes qui remplaceront ceux qui meurent ou partent à la retraite. Ce système se heurte, lui aussi, à la loi des rendements décroissants.

La réduction programmée de nos ressources affectera nécessairement sa capacité à remplir sa mission. C'est déjà le cas aux Etats-Unis, où la crise financière a poussé les université à fermer un certain nombre de département. En France, nous observerions plutôt une baisse de la qualité de l'enseignement. Dans les deux cas, le résultat final est le même : notre capacité à transmettre la connaissance à la suivante diminuera, à terme de manière drastique, et des technologies seront abandonnées. Cet abandon ne sera pas brutal et ressemblera plutôt au lent déclin du rêve spatial et l'acte final ne sera sans doute remarqué que par une poignée de nostalgiques.

Le reste d'entre nous sera sans doute occupé à retrouver des manières de vivre et des technologies adaptées à un monde de ressources rares et d’opportunités limitées, loin, très loin des promesses vaines des techno-optimistes.

2 commentaires:

  1. J'ai lu ton article sur agoravox et certains lecteurs voient apparemment l'avenir avec des lunettes roses, d'autres n'ont rien comprit au monde qui nous entoure et certains n'ont rien saisi de ton article, pour ma part je trouve ton article très bon et surtout très lucide, merci de l'avoir partagé.

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  2. En fait, je m'attendais à beaucoup moins de compréhension. Cela revient, après tout, à expliquer à des paysans médiévaux que Dieu et ses anges n'existent pas et que la résurrection des morts est une illusion. Il faut s'attendre à une certaine résistance

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