mardi 14 mai 2013

Hollande et la croissance : face à l’échec

Un an après son entrée en fonction, l'échec de Hollande et de Jean-Marc Ayrault est patent. C'était bien sûr prévisible, tout comme était prévisible la retraite du gouvernement, comme de ses adversaires, d'ailleurs, sur des sujets sociétaux qui permettent de cliver sans poser les questions qui risqueraient de vraiment fâcher.

Le mariage pour tous était la conséquence logique d'une évolution sociale, étalée sur quarante ans, qui a progressivement rendu légitimes les couples de même sexe. Par ailleurs, il fait rentrer dans la normalité familiale et conjugale une minorité longtemps marginale. Son adoption était à la fois et souhaitable, et aurait dû se faire comme en Grande Bretagne, sans polémiques ni manifestations.

Dans le domaine qui devrait être au centre des préoccupations du gouvernement, c'est à dire l'économie, ce qui frappe c'est son impuissance. Cette impuissance n'est pas seulement due à, disons, l'apathie naturelle du président. Il est d'ailleurs remarquable que les critiques de la droite ne portent pas sur le sens de la politique qu'il mène mais seulement sur l'ampleur des "réformes".

Si elle était au pouvoir, elle mènerait une politique similaire, avec les mêmes appels incantatoires au retour de la croissance et la même navigation à vue. Elle aurait sans doute la même absence de succès qu'elle essayerait de cacher en mettant en avant tel ou tel sujet sociétal.

Comme l'a montré Jean-Claude Michéa, la gauche, née de l'alliance historique entre le mouvement ouvrier et le "parti du progrès et du mouvement", s'est progressivement convertie aux idées portées par ce dernier. Le verre était dans le fruit dés la fin du XIXème siècle mais il ne s'est vraiment imposé qu'à partir de la fin des années soixante par le biais des mouvements dits "gauchistes", qui, contrairement au parti communiste, reflétaient les aspirations des classes moyennes alors en pleine expansion. Les idéologies du jouir sans entrave et de l'individu roi, même enveloppées dans une phraséologie marxiste ou maoïste répondaient à leur appétit de consommation et à leur volonté de bousculer les anciennes hiérarchies.

Ce sont elles qui sont restées lorsque les illusions trotskistes et maoïstes se sont effondrées, préparant le terrain à la conversion libérale de la gauche dite de gouvernement après l’abandon des pourtant fort modérées ambitions réformatrices de 1981. Elles ont d’ailleurs contaminé ce qui reste de la tradition socialiste originelle puisque les formations de "la gauche de la gauche" sont très engagées dans des sujets sociétaux comme la "défense des sans-papiers" ou le droit de vote des étrangers. Si l’on excepte quelques fossiles comme Lutte Ouvrière ou le Parti Ouvrier Indépendant, la gauche "dure" s’est largement ralliée à un libéralisme sociétal qui a toujours historiquement préparé le libéralisme économique.

Une évolution similaire s’est produite à droite où les libéraux l’ont définitivement emporté sur le "parti du trône et de l’autel" après la guerre d’Algérie. La droite, aujourd’hui, n’utilise plus le thème des valeurs et de la tradition que pour mobiliser un électorat souvent populaire, et ce alors que la politique qu’elle mène pousse à la dissolution de ces valeurs et de ces traditions conçues comme autant d’obstacle à globalisation et à la marchandisation généralisée. La encore seuls une poignée de groupuscules, d’ailleurs aussi peu sympathiques que leurs adversaires d’extrême-gauche, se situent en dehors de cette logique.

La droite et la gauche de gouvernement ne diffèrent donc idéologiquement que sur des symboles ou des références militantes et intellectuelles. Leur vision du monde profonde et la politique qu’elles mènent sont remarquablement similaires... et recouvrent pour l’essentiel la culture et les petites querelles des différentes classes dirigeantes.

C’est là, dans cette vision du monde partagée, que se situe la source de l’échec programmé de François Hollande. Son action se situe dans le cadre étroit du libéralisme et dans la perspective tout aussi étroite de la croissance.

Cela aurait pu avoir un sens au milieu du XXème siècle, cela n’en a plus aujourd’hui. Notre civilisation se heure à deux murs qu’elle ne peux dépasser. Le premier est celui de la complexité, mis en évidence par Joseph Tainter dans un ouvrage de 1988 : The Collapse of Complex Societies.

Les sociétés humaines sont des machines à résoudre des problèmes, et elles le font en accumulant de la complexité. Là où les choses se compliquent c’est que si cette stratégie est au départ très efficace, elle finit inévitablement par s’épuiser sous l’effet de la loi des rendements décroissants. A la fin, ces rendements deviennent négatif, c’est à dire que complexifier la société appauvrit cette dernière. Elle devient de moins en moins capable de mobiliser les ressources pour faire face à une urgence et devient un poids pour ses membres... jusqu’à ce qu’une crise emporte tout.

Le second mur est celui des ressources énergétiques. Comme le faisait remarquer Tainter dans un article de 1996 intitulé Complexity, Problem Solving, and Sustainable Societies :

L’industrialisation illustre ce point. Elle a créé ses propres problèmes de cherté et de complexité, y compris les chemins de fer et les canaux pour acheminer le charbon et les biens manufacturés, le développement d’une économie reposant de plus en plus sur la monnaie et les salaires, et le développement de nouvelles technologies. Alors que l’on considère habituellement que ces différents éléments de complexité facilitent la croissance économique, en fait, ils ne le font qu’en présence de subventions en énergie (…) Du fait des subventions en combustibles fossiles bon marché, de nombreuses conséquences de l’industrialisation furent effectivement bénignes pendant longtemps. Les sociétés industrielles pouvaient se les permettre. Lorsque les coûts énergétiques peuvent être supportés facilement et sans douleur, le rapport bénéfices sur coûts des investissements sociaux peut être largement ignoré (ainsi qu’il l’a été dans l’agriculture industrielle contemporaine). Ce sont les combustibles fossiles qui ont fait l’industrialisation et ce qui en est sorti (comme les avancées scientifiques, les transports, la médecine, l’emploi, le consumérisme, la guerre des nouvelles technologies et l’organisation politique contemporaine), un système de résolution de problèmes qui a été durable durant plusieurs générations.


Or les énergies fossiles abondantes et bon marché qui ont subventionné le mode de vie industriel se raréfient. La production de pétrole brut conventionnel stagne depuis 2004 et pour répondre à la demande nous sommes obligés de nous tourner vers des substituts coûteux et difficiles à extraire comme le pétrole de schiste ou les sables bitumineux. Naturellement si ces substituts, qui sont connus depuis longtemps, n’étaient pas exploités, c’est qu’il y avait une bonne raison : leur rendement est mauvais, parfois même négatif. Le rapport entre l’énergie qu’ils fournissent et celle nécessaire à leur extraction est très inférieur à celui du pétrole conventionnel, ce qui se traduit par des coûts très élevés.


Le résultat c’est qu’il reste de moins en moins de surplus pour entretenir les infrastructures et faire croître l’économie. De là vient son l’atonie actuelle, atonie particulièrement marquée en Europe car nous ne disposons pas de matières premières, devons entretenir une société très complexe avec quantités d’infrastructures matérielles et immatérielles et ne disposons plus d’outils monétaires, ou d’une puissance géopolitique qui nous permettrait, à l’instar des États-Unis, de pomper la richesse de notre périphérie.

Dans ces conditions, il est illusoire de croire que la croissance va redémarrer. En fait on peut s’attendre à ce qu’elle s’inverse et que nous subissions une décroissance forcée de longue durée. Les appels des uns et des autres au retour de la croissance tiennent donc plus de l’acte de foi que de la politique constructive.

C’est d’ailleurs tout aussi vrai des politiques alternatives proposées par l’extrême gauche, puisqu’au delà des exercices rhétoriques, elle se place elle aussi dans une perspective de complexification – qu’est-ce qu’une "planification écologique" sinon la construction d’une nouvelle bureaucratie – et donc de croissance.

La vrai question, celle qu’un PS soumis à l’idéologie libérale et à la mythologie du progrès, ne peut se poser c’est pourquoi avons nous besoin d’une croissance ? On pourrait, après tout se contenter, d’une stabilité de la production, ou d’un cycle où périodes de croissance et de décroissance s’équilibreraient.

C’est en partie dû au fait que la comptabilité national – et pas seulement la française – considère les services non-marchands – l’armée par exemple – comme une création de richesse, ce qui masque mécaniquement les variations, à la hausse comme à la baisse, de l’économie productive. La véritable difficulté, cependant, tient à notre système de création monétaire. Nous créons de l’argent en créant de la dette. Cela signifie que dans une économie donnée la masse de dette est équivalente à la masse monétaire – et donc, soit dit en passant, qu’annuler la dette revient à retirer de l’argent du système. Cela signifie surtout que l’économie doit croître constamment si l’on veut que ces dettes soient remboursées. Si cette croissance est inférieure à un certain niveau, une partie de ces dettes deviennent impossibles à honnorer. Si elle devient négative, c’est l’ensemble du système qui risque de s’enfoncer dans une spirale déflationniste.

Dans un monde où l’épuisement des matières premières nous condamne à une décroissance forcée de longue durée, c’est la porte ouverte aux pires désastres. Et bien sûr, injecter de l’argent dans le système, en créant de nouvelles dettes ou en imprimant des billets, sera de moins en moins efficace et ne servira, à terme qu’à détourner des ressources vers la spéculation et à générer de l’inflation.

En lieu et place des incantations à Sainte Rita qui remplissent l’espace médiatique, il faut surtout nous demander comment nous pouvons vivre bien dans une période de décroissance prolongée. La société durable que les promesses des années 70 nous laissaient entrevoir est sans doute définitivement hors de notre portée. Nos infrastructures sont trop lourdes et le temps nous manque pour effectuer une transition ordonnée. Une forme ou une autre d’effondrement est à ce stade inévitable.

L’objectif devrait-être désormais d’accompagner ce mouvement en faisant exactement l’inverse d’une politique de croissance. Il s’agirait de promouvoir le local et l’organique, de démanteler les infrastructures inutiles, d’organiser le retrait de l’économie monétaire au profit de l’autosuffisance, reconstruire les communautés locales en dévalorisant l’individualisme.

En gros, construire, avec le moins d’à-coups et de douleur possible la civilisation d’après la croissance et la décroissance, un monde qui ressemblerait à celui esquissé par David Holmgren dans son scénario Earth Steward.

Comme le faisait remarquer Joseph Tainter, "c’est une alternative utopique qui (…) ne se réalisera que si des difficultés sérieuses dans les nations industrielles la rend attractive et si la croissance économique et le consumérisme disparaissent de notre idéologie"

Ce n’est pas, c’est le moins que l’on puisse dire, la vision de François Hollande, comme de ses principaux rivaux d’ailleurs. Et c’est pour cela qu’ils sont condamnés à l’échec.

1 commentaire:

  1. Exposé intéressant et assez lucide dont je partage l'analyse sur la proximité des 2 partis de gouvernement mais je reste toujours aussi ahuri devant les gens qui arrivent à trouver du libéralisme dans l'action des partis politiques français ou dans la société française où, rappelons-le, les prélèvements publics atteignent 57% du PIB

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