Aurore
Martin est une militante, française, du parti indépendantiste
basque Batasuna, légal en France mais interdit en Espagne du fait de
son attitude pour le moins équivoque vis-à-vis des terroristes de
l’ETA. Aurore Martin a, bien entendu, participé aux activité de
son parti, non seulement en France mais aussi en Espagne, de 2005 à
2008. Elle a été poursuivie par la justice espagnole pour ces faits
et s’est réfugié en France.
Jusque-là ,
rien que de très normal et prévisible.
Là
où les choses se compliquent, c’est qu’un juge espagnol a lancé,
le 13 octobre 2010, un mandat d'arrêt européen à son encontre «
en vue de poursuites pénales pour des "
faits de participation à une organisation terroriste, et terrorisme,
commis en France et en Espagne de 2005 à 2008 ".
La justice française a appliqué ce mandat d’arrêt tout en le
restreignant aux seuls actes commis en Espagne et Aurore Martin est
entrée dans la clandestinité. Elle a été arrêtée lors d’un
banal contrôle routier le 1er novembre 2012 et la
procédure d’extradition a immédiatement commencé, ce qui a entraîné de vives
protestations de la part d’élus locaux, des groupes autonomistes
mais aussi d’organisation de défense des droits de l’homme, à
ce point que tant le ministre de l’intérieur Manuel Walls que le
président François Hollande ont été interpellés sur le sujet.
Je
n’ai aucune sympathie pour Batasuna. La violence de l’ETA était
légitime à l’époque du franquisme, tout comme l’était celle
de l’Agrupación
Guerrillera de Levante y Aragón
et des autres maquis antifranquistes de l’après-guerre. Elle a
cessé de l’être dés l’instant où la démocratie a été
rétablie. Je suis plutôt favorable à ce que le Pays Basque
devienne indépendant si telle est la volonté majoritaire de sa
population mais cela ne peut se faire que de manière pacifique, pas
à coup de bombes et d’ "impôt
révolutionnaire". L’attitude de Batasuna était à ce point
équivoque qu’on le qualifiait de vitrine légale de l’ETA. C’est
d’’ailleurs ce qu’à estimé la Court Européenne des Droits de
l’Homme dans un arrêt de 2009 affirmant que :
le comportement des hommes politiques
englobant d’ordinaire non seulement leurs actions ou discours, mais
également, dans certaines circonstances, leurs omissions ou
silences, qui peuvent équivaloir à des prises de position et être
aussi parlants que toute action de soutien déclaré.
Et
que :
Après avoir recherché s’il
existait des raisons convaincantes et impératives de nature à
justifier la dissolution des partis politiques requérants parmi les
éléments dont elle disposait, la Cour a estimé que cette ingérence
correspondait à un « besoin social impérieux » et était «
proportionnée au but visé ». Il en résulte que la dissolution
peut être considérée comme « nécessaire dans une société
démocratique », notamment pour le maintien de la sûreté publique,
la défense de l’ordre et la protection des droits et libertés
d’autrui, au sens de l’article 11 § 2.
La
demande d’extradition était donc légitime. Le problème est
ailleurs.
Autrefois
le juge espagnol aurait faire une demande d’extradition à la
France, qui l’aurait d’ailleurs sans doute refusée. En effet
nous n’extradons pas nos nationaux, et certainement pas lorsqu’ils
sont poursuivis pour des délits politiques – le terrorisme n’est
pas considéré comme de nature politique mais en l’espèce il
s’agit seulement d’appartenance à une organisation le soutenant,
plus ou moins implicitement, ce qui n’est pas la même chose.
La
procédure dite du mandat d’arrêt européen, cependant, suit une
autre logique. Mis en place par la décision cadre 2002/584/JAI, du
13 juin 2002, après avoir été approuvé au niveau politique lors
du Conseil européen de Laeken en décembre 2001, il crée une sorte
de marché commun judiciaire.
Un
état – ou plus précisément un juge dans un état – peut
émettre un mandat d’arrêt européen pour des faits punissables
dans l’état d’émission par au moins douze mois d’emprisonnement
et correspondant à l’un des 32 chefs d’accusations énumérés
dans la décision cadre. Les autres états sont alors obligés de
l’appliquer, sauf s’il y a une atteinte aux droits de l’homme
ou si le mis en cause est poursuivi chez eux pour les mêmes faits.
On notera que la nationalité du mis-en-cause n’entre pas en
considération, ce qui revient à dire que la France non seulement
peut mais doit extrader ses nationaux si un autre pays européen en
fait la demande.
Bien
sûr, il est possible de contester un mandat d’arrêt européen
devant les tribunaux, jusqu’à la Court Européenne des Droits de
l’Homme . C’est d’ailleurs ce qu’a fait, sans succès, Aurore
Martin, ainsi qu’un autre "bénéficiaire" du système
Julien Assange. Le gouvernement, cependant, et au contraire de ce qui
se passe pour une extradition traditionnelle, n’a aucun moyen de
stopper la procédure. Il n’en est qu’un simple relais
administratif.
Il
est facile de voir comment le système peut partir en vrille. Qu’un
parti d’extrême-droite s’installe au pouvoir quelque part – on
ne donnera pas de nom pour ne vexer personne – et le gouvernement
français se trouvera dans l’obligation d’arrêter des citoyens
français, sur son propre territoire, pour "appartenance à la
mafia sioniste" ou "incitation
à la sédition rom". L’affaire
Julien Assange montre d’ailleurs que ce n’est pas qu’une simple
hypothèse.
En
sus de ces abus prévisibles, et au moins partiellement avérés, le
mandat d’arrêt européen participe du grand mouvement de
dépolitisation bureaucratique qui caractérise la construction
européenne depuis 1952. Il ne s’agit pas des transferts de
souveraineté en eux-même, mais bien du fait que, contrairement à
ce qui s’est passé aux USA en 1787, cette souveraineté
n’ait pas été transférée à un corps politique mais à une
entité administrative.
Cette
différence est fondamentale et explique l’échec de l’Union
Européenne.
Un
corps politique, comme son nom l’indique, mène une politique qui,
du moins en théorie, peut être invalidée par les électeurs qui
enverront alors au pouvoir des gens totalement différents pour mener
une politique elle aussi totalement différente. C’est un système
très imparfait mais il a l’avantage de permettre de changer de
gouvernement sans avoir à prendre d’assaut le palais présidentiel
ni à envoyer ses occupants en camps de rééducation par le travail.
Une
administration fonctionne de manière différente. Elle gère en
appliquant des règles établies à l’avance sous la surveillance
non pas du peuple mais des tribunaux. Ceux-ci n’ont d’ailleurs
pas le pouvoir de la renvoyer dans ses pénates mais seulement
d’invalider telle ou telle de ses décisions. Une administration
n’est, par définition, responsable politiquement devant personne.
Sa seule obligation est de respecter formellement les principes qui
l’ont fondée, et tant pis si cela se fait contre la volonté de
ses administrés.
Or
dés le départ, l’Union Européenne a été conçue comme une
administration – comme dise les informaticiens, it
is not a bug, it is a feature.
La CECA avait pour but, explicite, de retirer la maîtrise des mines
et de la sidérurgie aux états pour leur ôter les moyens de faire
la guerre, ce qui supposait que cette maîtrise soit confiée non pas
à une autorité politique, qui pourrait éventuellement faire la
guerre, mais à un organisme purement gestionnaire.
L’Europe
n’a jamais su dépasser ce péché originel et chaque
approfondissement n’a fait que la transformer toujours plus en une
vaste machine à appliquer des traités dont elle ne peut remettre en
cause les fondement idéologiques. C’est pour cela que les
partisans du non de gauche en 2005 avaient à la fois raison et tort.
Raison, parce que le traité sacralisait une politique libérale
qu’il ne serait ensuite plus possible de contester au niveau européen.
Tort parce que le traité de Lisbonne n’avait rien de spécial de
ce point de vue. Le ver était dans le fruit dés 1952.
Un
exemple nous en a été donné récemment avec la fameuse directive
avortée sur les 40% de femmes dans les conseils d’administration.
Je trouve personnellement cette mesure absurde et odieuse. Absurde
parce que les entreprises n’ont pas vocation à être
représentatives, elles ont juste l’obligation d’offrir à tous
les employés les mêmes opportunités, ce qui est profondément
différent. Odieuse parce qu’elle se présente comme bénéficiant
à toutes alors qu’elle ne touchera qu’une poignée de déjà
favorisées – c’est d’ailleurs une constante dans le monde
progressisto-bobo.
Le
vrai problème, cependant, c’est que c’est un organisme qui, au
fond, n’est responsable devant personne qui a décidé de prendre ou
non cette mesure et de l’imposer aux parlements nationaux. Dans un
certain nombre de cas, le parlement européen a, de fait, un droit de
véto dans le cadre de la "codécision", mais ses modalités
d’élection, sur une base nationale et sans débat sur les
politiques à mener, font que ses décisions ressemblent plus à des
négociations d’appareil, menées sous le regard et l’influence
des lobbys, qu’à un débat démocratique.
Ce
n’est même pas un gouvernement par décret, c’est un
gouvernement par notes de service. Et comme tous les gouvernements de
ce style, il est effroyablement vulnérable aux pressions et aux
luttes de factions de la classe dominante.
Il
n’y a que deux remèdes à cette situation. Le premier, celui qui a
ma préférence, consisterait à faire de l’Union Européenne un
véritable état fédéral avec un gouvernement responsable devant un
parlement élu au cours d’élections aux enjeux clairs et dont les
résultats conditionneraient la composition du dit gouvernement.
Concrètement, cela signifierait que les actuels états cessent
d’être souverains et se voient ravalés au rang d’un canton
suisse ou d’un état américain, ce qui soit dit en passant est
loin d’être négligeable. C’est, en substance, la proposition de
Dany Cohn-Bendit. Je doute que je la voie se réaliser de mon
vivant, et je compte bien vivre très longtemps.
Le
second consiste à admettre que nous avons construit une machine
incontrôlable qui est en bonne voie de dissoudre la démocratie, à
la dissoudre avant et à reconstruire la dite démocratie au niveau
national. Ce n’est pas l’hypothèse que je préfère, mais force
est de constater que c’est la plus probable si nous continuons à
nourrir le monstre bureaucratique.
Et
pour en revenir à nos moutons basques, c’est bien cette
alternative que met en lumière le cas d’Aurore Martin, et c’est
bien pour cela que tous les républicains devraient s’opposer à sa
livraison aux autorités espagnoles.