mercredi 11 avril 2012

Le combat contre l’aéroport de Notre-Dame des Landes ou les errances de l’écologie

Le samedi 24 mars 2012, une manifestation d’opposants à la construction d’un aéroport international à Notre-Dame-des-Landes a réuni environ 6.000 personnes dans le centre de Nantes. Ce projet avait été, on s’en souvient, un des points de contention entre Europe-Ecologie-Les-Verts et le PS lors des négociations. Comme toujours dans de telles circonstances, des heurts ont opposé, en fin de journée, les forces de l’ordre à des jeunes radicalisés.

Ce qui a le plus marqué les esprits, cependant, ce sont les 200 tracteurs amenés par des agriculteurs du cru pour soutenir les manifestants, et à dire vrai on ne saurait trouver meilleur symbole de l’émasculation de la pensée écologiste. Personne, en effet, ne semble s’être demandé avec quoi roulaient ces tracteurs ni quel rôle l’agriculture mécanisée jouait dans l’épuisement programmé de nos ressources.

Lorsque l’écologie politique a émergé dans les années 70 autour du Club de Rome et de la candidature de René Dumont, elle posait clairement la question des contraintes que les lois de la nature imposent à une civilisation industrielle. Si Halte à la Croissance, reprenait le discours de pionniers de l’économie comme John Stuarts Mill ou Adam Smith sur le caractère limité dans le temps de la croissance économique, il l’assortissait d’un avertissement : laissée à elle-même, la croissance n’aboutissait pas à une stabilisation progressive, mais à un effondrement simultané et global de la production, du niveau de vie et de la population. Ni le progrès technique ni un accès accru aux ressources ne permettaient d’éviter l’effondrement, seulement de le retarder. Le seul moyen d’arriver à une prospérité durable était d’arrêter la machine infernale de la croissance, tant économique que démographique.

On s’en doute, cela n’a fait plaisir ni aux défenseurs de l’ordre établi – qui avaient besoin d’une croissance continue pour continuer à faire des affaires – ni aux marxistes qui avaient besoin d’une croissance continue pour réaliser leur paradis prolétarien.  Halte à la Croissance s’est donc heurté à un véritable tir de barrage idéologique avec des arguments souvent malhonnêtes. Il y a même eu des théories du complot qui faisaient de l’ouvrage un instrument visant à imposer une austérité forcée au monde, dans l’intérêt d’une élite mal identifiée dont on se demande d’ailleurs pourquoi elle jouerait à ce genre de jeu. Le thème est d’ailleurs toujours populaire


Quarante ans après, cependant, les conclusions du Club de Rome tiennent toujours, au point que le scientifique australien Graham Turner a pu récemment démontrer que le "scénario standard" de  Halte à la Croissance décrivait de manière adéquate l’évolution des quatre dernières décennies – est-il utile de préciser que ce n’est pas une bonne nouvelle ?

L’écologie politique, elle, n’a cessé de s’éloigner du chemin tracé par le Club de Rome, et cela non plus n’est pas une bonne nouvelle.

En se taillant un électorat, d’ailleurs volatile, au sein des classes moyennes supérieures, l’écologie politique a fait sienne l’idéologie et les intérêts de ces même classes  moyennes supérieures. Celles-ci ne veulent certainement pas d’un monde plus frugal, et plus égalitaire mais tiennent à montrer qu’elles appartiennent au camp des progressistes. Elles sont fermement attachées à leur statut et aux privilèges qu’il leur apporte mais tiennent à se distinguer moralement des élites traditionnelles, sans doute parce que leur origine est différente. Les " bourgeois-bohèmes" ne tirent en effet pas leur position de la maîtrise des outils de production mais de leur position dans certaines institutions, publiques ou privées – institutions qui ne peuvent exister que dans le type de société complexe que permet l’exploitation intensive des combustibles fossiles.

De cette fusion idéologique découle le choix de la "croissance verte" et des "emplois écolos", et une part belle faite à l’hédonisme et à l’individualisme, alors que ce que Kurt Cobb appelle les "verts fondés en écologie" mettent la frugalité, y compris personnelle, et la communauté, au sens communautarien du terme, au centre de la transition vers un monde soutenable. Dans la vision de Cobb ou Greer, qui est aussi, sur ce point, celle d’un Christopher Lasch, un grand nombre de fonctions sociales aujourd’hui assumée par des entreprises ou par l’Etat, doivent, dans un monde soutenable, retourner à la sphère domestique ou communautaire. Cela implique de diminuer le nombre d’emplois rémunérés tout en créant les conditions pour qu’à terme le maximum de personne puissent vivre en dehors de l’économie monétaire.  C’est évidement totalement contradictoire avec la logique de "croissance verte" et des "emplois écolos", qui ont une forte chance de devenir assez vite des emplois (bien payés) pour les écolos.


En découle également le choix de leurs combats. Comme le faisait remarquer l’essayiste américain John Michael Greer :
L'histoire du changement climatique, si vous la réduisez à ses fondamentaux, est le genre d'histoire que notre culture aime raconter - un récit sur la puissance humaine. Regardez-nous, dit-il, nous sommes tellement puissants que nous pouvons détruire le monde! L'histoire du pic pétrolier, en revanche, est le genre d'histoire que nous n'aimons pas - une histoire sur les limites naturelles qui s'appliquent, oui, même à nous. Du point de vue du pic pétrolier, notre statut auto-proclamé d’enfant chéri de l’évolution commence à ressembler à l'illusion qu'il est sans doute en réalité, et il devient difficile de ne pas se mettre à penser que nous pouvons avoir à nous contenter du rôle un peu moins flatteur d’une espèce qui, après avoir dépassé les capacités d’accueil de son environnement, en subit les conséquences.

L’histoire du combat contre l’aéroport de Notre-Dame des Landes est, elle aussi, une histoire que les classes moyennes supérieures aiment se raconter. On peut discuter de la pertinence du projet et une argumentation décroissante visant à abandonner progressivement le transport aérien a sa cohérence, surtout dans le monde où nous vivons, d’autant plus que ceux qui la tiennent commence par s’appliquer leurs idées à eux-mêmes.

Ce n’est pas ce que font la plupart des opposants : ils entendent bien conserver la société actuelle, et donc les aéroports, mais n’entendent pas en payer le prix en termes de bonne conscience. Ils projettent donc cette bonne conscience sur un seul aéroport afin de pouvoir utiliser les autres, ou des trains à grande vitesse qui sont bien plus énergivores qu’un avion de ligne moderne.

Jung pourrait parler d’ombre.

Que l’on construise ou non l’aéroport ne changera rien à l’avenir de la civilisation ou du climat. Le nombre d’avions dans le ciel ne changera pas – ils décolleront seulement de Roissy, dont les récentes extensions n’émeuvent curieusement personne – et pas une seule molécule de gaz carbonique ne sera ajoutée, ou enlevée, à l’atmosphère. En revanche défiler dans les rues de Nantes, derrière des tracteurs aussi polluants qu’emblématique d’une agriculture totalement insoutenable, permet aux bourgeois bohèmes de se donner des airs de contestataires sans renoncer en rien à leur statut ni modifier leur mode de vie, lui aussi totalement insoutenable.

Car le drame dans cette histoire c'est qu'au cours des quarante dernières années nous n'avons rien fait pour infléchir la courbe décrite par le "scénario standard" et subissons aujourd'hui les premiers symptômes de la crise qu'il prédisait.

Il y aura certainement un monde soutenable de l'autre côté, mais il est douteux qu'il laisse beaucoup de place à nos classes moyennes supérieures, à leur mode de vie hédoniste, à leur idéologie individualiste et aux bureaucraties dont elles dépendent. En fait, les bourgeois – bohèmes et les organisations politiques qu’ils inspirent et animent (en gros les Verts, le Modem et une partie de l’extrême-gauche) figureront en bonne place parmi les perdants de la transition.

C'est une réalité à laquelle, on le comprend, elles n'ont guère envie de faire face, et il faut avouer que ce futur tarmac au nord de Nantes fait un excellent dérivatif.

1 commentaire:

  1. Je ne suis pas sur qu un TGV soit plus energivore qu un avion si on considere l energie depensee par km et passager car un train permet de faire voyager bien plus de personnes qu un avion.
    L autre probleme c est le type d energie utilisee. Un TGV est electrique, un avion vole au kerozene. La consoation d energie primaire sera donc differente selon que votre electricite est d origine nucleaire (france), conventionnelle (gaz/charbon) ou renouvelable

    Quant au fait que le nouvel aerorport ne va pas faire voler plus d avion, j espere pour le contribuable nantais que vous vous trompez! Il existe deja un aeroport et si le traffic n est pas superieur avec le nouvel aeroport, il sera lourdementz deficitaire et les contribuable paiera

    Ce qui est tres criticable dans ce type de decision, c ets que nos elus decident de faire ce type "d elephant blanc" sans prendre en compte les besoins. Soit c est pour marquer dans l espace leur passage au pouvoir soit plus prosaiquement pour generer des valises de billets
    En Espagne ils ont des aeroports entierement vide ou aucun avion se pose. doit on avoir ca aussi en France ?

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