dimanche 5 février 2012

Théories du Complot


Les conspirations et les cabales, grandes, petites ou moyennes, sont une réalité. Certaines, comme l'assassinat de César ou le coup d'état d'octobre 1917 ont effectivement changer l'histoire. Leurs effets sont toujours locaux cependant, et leurs objectifs souvent mesquins. La CIA a bien mené des expériences sur l'homme dans les années cinquante et l'armée l'air américaine s'est bien lancé dans une opération de manipulation de grande envergure sur le thème des OVNI – utilisant des visites extraterrestres fantasmatiques pour camoufler des essais bien réels, comme par exemple celui du F117 Nighthawk.

Ce qui n'est jamais arrivé, cependant, c'est qu'une conspiration n'a jamais eu, à elle seule, d'impact décisif sur l'histoire du monde. Le nazisme prend bien ses sources dans la Thule-Gesellschaft qui a patronné le jeune Deutsche Arbeiterpartei, mais l'arrivée au pouvoir de Hitler doit plus à la crise de 1929, au traumatisme de la défaite de 1917 et à la capacité du futur führer à entrer en résonance avec les couches les plus profondes et les plus sombres de l'inconscient collectif allemand qu'aux manipulations d'une société secrète que le régime nazi interdira d'ailleurs dés 1935. Quant au putsch d'octobre, il est le résultat de la rencontre entre une société en crise, une grande puissance aux abois et le leader opportuniste et sans scrupule d'un groupuscule extrémiste.

Les illuminati, qui d'ailleurs n'existaient plus depuis plus d'un siècle n'y étaient pour rien.

Il est facile de voir pourquoi les théories du complot relèvent du fantasme et pourquoi les sociétés secrètes qu'elles imaginent ne peuvent pas exister dans le monde réels. Dans celui-ci, la Franc-Maçonnerie a éclaté en une myriade d'obédiences et ses rituels secrets se vendent en librairie. Des apostats ont dévoilé les cérémonies, secrètes elles-aussi, qui se tiennent au cœur des temples mormons, quant aux rencontres du Groupe de Bilderberg, les dates et les lieux de leurs réunions sont connues de tous. Ces dernières se passent d'ailleurs sous le regard des services secrets, qui ne doivent pas se contenter d'en assurer la sécurité.

Si les complots politiques sont probablement aussi vieux que la civilisation, les théories du complot, avec leurs vastes sociétés secrètes et leurs jeux de billard à bande sont beaucoup lus récente. Elles sont nées après la Révolution Française pour expliquer pourquoi l'ancien régime, qui était censé avoir la faveur divine, s'était effondré et pourquoi l'Église n'arrivait pas à endiguer la montée de la pensée moderne. Elles appartenaient alors plutôt au domaine de l’extrême-droite.

C'est d'ailleurs toujours à l'extrême-droite que les théories du complot trouvent naissance, même si elles sont aujourd'hui reprisent par une extrême-gauche qui cherche désespérément à comprendre pourquoi les paradis prolétariens qui contrôlaient la plus grande partie du monde durant la seconde moitié du vingtième siècle se sont écroulé.

Le discours conspirationniste sur le Groupe de Bilderberg, par exemple, vient d'un ouvrage de l’extrémiste de droite américaine Phyllis Schlafly - A Choice, Not an Echo – publié en 1964 et qui affirmait que le Parti Républicain était contrôlé par une cabale qui souhaitait créer un gouvernement mondial et instaurer le communisme universel, une thèse qu'on retrouve dans les écrits de la John Birch Society, think tank américain dont le gauchisme est très relatif.

L'hôtel de Bilderberg
On remarquera, par ailleurs, que les groupes d'où viennent ces théories sont souvent eux-même au centre de micro-conspirations. Il n'est pas étonnant que les larouchistes et les lambertistes, par exemple, voient des cabales partout, et comme ils ont en général une assez haute opinion d'eux-même, ils se créent des adversaires des adversaires à ce qu'ils imaginent être leur hauteur. Le discours d'un Pierre Hillard, mais on le retrouve aussi à Solidarité et Progrés, est particulièrement révélateur de ce point de vue. J'ai ainsi eu la surprise, en les lisant, d'apprendre que des organisations que je fréquente régulièrement et dont je connais bien la faiblesse et le manque de cohérence interne, étaient en fait de puissants lobbys avec des relais au plus haut niveau du monde des affaires.

Ce qui pose question, cependant, c'est la popularité de ce genre de théorie en dehors des groupuscules dont elles étaient autrefois le domaine réservée. On entend ainsi fréquement que si on ne voit pas de voiture électriques ou à air comprimé dans nos rues, c'est parce que les grandes compagnies pétrolières s'assoient sur les brevets et sabotent la recherche.

Dans le monde réel les voitures électriques dominaient le marché au début du vingtième siècle, le premier moteur à hydrogène a été construit en 1807 et des trams parisiens fonctionnaient à l'air comprimé sous la troisième république. Curieusement, ni l'Allemagne Nazie, ni les militaristes japonais ni l'Afrique du Sud de l'Apartheid ni la Corée du Nord, pays qui combinaient un manque aigu de pétrole avec un mépris profond pour le droit international, ne se sont tournés vers ces technologies lorsque leurs économies sont tombé en panne d'essence.

Que ces arguments soient balayés d'un revers de main par les conspirationnistes montre que leur mode de pensée n'est pas rationnel, et répond en fait à des besoins psychologiques.

Cela peut sembler curieux, car après tout, qui voudrait vivre dans un monde où une cabale malfaisante organise la récession et la pénurie, à des fins d'ailleurs pas toujours très clair, mais quand on y regarde de plus prés, ce monde est, en fait, très rassurant. Si une cabale de banquiers et de capitalistes peuvent contrôler le monde, c'est que le monde est contrôlable et que notre impuissance n'est que conjoncturelle. Nous pouvons être aujourd'hui sous la coupe d'immondes profiteurs, mais lorsque nous les aurons pendus avec les tripes de leurs laquais, nous pourrons créer le paradis sur terre.

Il faudra juste décider de quel paradis il s'agit, car sur ce point Solidarité et Progrés, Alain Soral et la John Birch Society ne sont pas exactement sur la même longueur d'onde.

Ce monde est infiniment plus rassurant que celui décrit par le rapport Meadows, où nos ressources sont limitées et en voie d'épuisement, où la science n'apporte aucune solution durable et ou à, ce stade, il est impossible d'obtenir un autre résultat qu'un effondrement.

Par ailleurs, en accusant telle ou telle obscure cabale, nous nous exonérons. Notre société a fait, inconsciemment, le choix il y a trois siècle d'un mode de développement basé sur des ressources non-renouvelables. Nous avons fait il quarante ans, le choix beaucoup plus conscient de ne pas opérer une transition vers une économie plus frugale et plus durable.

Nous, habitants des pays développés, jouissons d'un niveau de vie qui ferait pâlir d'envie un monarque du dix-huitième siècle. Certes, nos maisons sont plus petites et moins bien décorées, mais elles sont chauffées et éclairées. Nous disposons de l'eau courante et d'une alimentation abondante et variée, de moyens de transports rapide et d'une quantité extravagante de gadgets dont nos grands-parents ne pouvaient que rêver.

Si on exprime tous ces avantages en heures de travail humain, on s’aperçoit que chacun d'entre nous a à sa disposition plusieurs centaines d'esclaves invisibles.

De plus, nous consommons une part totalement disproportionnée des ressources qui nous permettent d'avoir ce niveau de vie. Si nous voulions d'un monde équitable, il nous faudrait le diviser au moins par deux. Je ne crois pas me tromper en prédisant que les volontaires ne se bousculeront pas au portillon.

Il est, là encore, beaucoup plus confortable, d'accuser quelque nébuleux groupe de conspirateurs, ou tel ou tel concept volontairement mal défini, comme le "capitalisme" ou "l'impérialisme", que d'accepter que notre mode de vie n'est pas durable, qu'il ne durera pas et que notre seule option est d'en changer.

Et puis il y a ce si agréable sentiment supériorité. L'impression de voir à travers le rideau de fumée et d'être au dessus du troupeau des dupes.

Quant au coupable... peut-être devrait-on reprendre le discours de V dans le film du même nom :

Comment est-ce arrivé ? Qui est à blâmer ? Bien sûr, il y a ceux qui sont plus responsables que les autres et qui devront en rendre compte mais... Encore dans un souci de vérité, si vous cherchez un coupable, regardez simplement dans un miroir.

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