samedi 25 février 2012

Il viendra des pluies douces.


Sara Teasdale n’est pas très connue en France, et c’est en vain qu’on cherchera une traduction de ses poèmes. Ce n’est guère étonnant dans un pays aussi auto-centré que la France. Une de ses œuvre a cependant traversé l’Atlantique, passager pas si clandestin des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury : Il Viendra des Pluies Douces. Cette pièce vaut par son indéniable valeur littéraire, bien sûr, mais aussi parce qu’elle met en lumière la plus importante faille de la pensée écologique moderne.


Il viendra des pluies douces et l'odeur de la terre,
Et des cercles d'hirondelles stridulant dans le ciel ,
Des grenouilles aux mares qui chanteront la nuit
Et des pruniers sauvages palpitant de blancheur;
Les rouges-gorges enflant leur plumage de feu
Siffleront à loisir perchés sur les clôtures.


Et nul ne saura rien de la guerre qui fait rage
Nul ne s’inquiétera quand en viendra la fin.


Nul ne se souciera qu'il soit arbre ou oiseau
De voir exterminé jusqu'au dernier des hommes


Et le printemps lui-même en s'éveillant à l'aube
Ne soupçonnera pas notre éternelle absence."

La pensée écologique qui s’est développée après-guerre, notamment avec la publication de Silent Spring par Rachel Carson en 1962, s’est focalisé sur l’impact de l’homme sur la nature. Ce n’était pas totalement absurde. L’activité humaine induit des changement environnementaux et ceux-ci, comme tous les changements, sont néfastes pour une bonne partie de la faune et de la flore, et si les Maoris n’ont pas attendu la machine à vapeur pour exterminer les moas, il est évident que l’avènement de l’ère industriel a coïncidé avec une augmentation considérable du rythme des extinctions. Certains ont même pu parler d’une sixième extinction de masse, menant à ce qu’ils appellent la planète des mauvaises herbes : un monde sans biodiversité, peuplé d’une poignée d’espèces particulièrement résistantes.

Dire que nous sommes au bord de la sixième extinction, cependant, c’est aussi dire qu’il y en a eu déjà cinq.

Il y a 250 millions d’années, à la fin du Permien, une série d’éruptions volcaniques massives dans ce qui est aujourd’hui la Sibérie a plongé la planète dans une spirale mortifère de changements climatiques incontrôlés. Lorsque tout fut accompli, 96% des espèces vivantes avaient disparu. Les océans étaient devenus des déserts liquides, dépourvus du moindre atome d’oxygène et exhalant des vapeurs d’hydrogène sulfuré.

Sur les terres desséchées, une poignée d’animaux respiraient à grand peine un air surchauffé et empoisonné. Le paysage, sans végétation d’aucune sorte, ressemblait plus à celui de Mars qu’à la Terre que nous connaissons.

Pourtant, quand les conditions sont redevenues vivables, les écosystèmes se sont lentement reconstitué et une nouvelle biodiversité s’est déployée sur la Terre.

Il est douteux que nous puissions, même si nous le voulions, faire autant de dégâts que les éruptions sibériennes, sans parler, bien sûr des épisodes de glaciations ou d’évaporation totales qui ont précédé l’apparition de la vie multicellulaire.

En fait, la Terre traverse depuis 34 millions d’année une période plutôt froide et sèche, marquée par la présence de calottes glaciaires aux pôles. Ce climat froid s’est encore dégradé il y a 2 millions d’années avec l’apparition de la banquise arctique, ce qui a aboutit à une succession rapide d’épisode extrêmement froids – les âges glaciaires – et d’épisodes un peu moins froids comme celui que nous vivons actuellement. Même si, comme certains libéraux ou certains complotistes le suggèrent, nous abandonnons tout principe de précaution et déversons dans notre atmosphère des tombereaux de gaz à effets de serre, nous ne ferions que retourner aux conditions qui régnaient au crétacé, à la fin de l’âge des dinosaures : un univers tropical et marin, fait de gigantesques marécages bordées de mers peu profondes et de forêts pluviales. La vie y foisonnerait et la bio-diversité y serait bien plus élevée que dans notre monde de steppes et de déserts.

Cela ne veut pas dire naturellement que nous devons déverser dans notre atmosphère tout le dioxyde de carbone et le méthane que nous pouvons. Avec la possible exception des riposteurs laïques et des électeurs du FN, nous n’avons qu’un rapport extrêmement lointain avec les dinosaures, et notre civilisation ne s’est développée que parce que nous avons connu, depuis environ 10.000 ans, des conditions climatiques exceptionnellement stable. Une augmentation de cinq degrés réduirait notre civilisation à l’état de ruines dans la jungle.

Ce que cela veut dire, c’est que la planète n’a pas besoin d’être sauvée. Même si nous nous comportons comme les pires des irresponsables – et c’est effectivement une possibilité – nous ne pouvons pas faire pire que ce à quoi elle a déjà survécu.

L’insistance des écologistes, qu’ils soient des techno-greens adeptes de la voiture électrique ou des écologistes profonds instruisant le procès de l’espèce humaine, à mettre en avant le sauvetage de la planète est néanmoins révélatrice. Le rapport Meadows au Club de Rome, en effet, ne parlait absolument pas de la menace que faisait peser l’humanité sur la nature. Il parlait de la menace que faisaient peser les contraintes naturelles sur la civilisation humaine.

Son message était clair : la nature impose des limites indépassables à notre développement. Si nous les ignorons nous nous fracasserons contre elles et nous nous effondrerons. Nous ne l’avons pas entendu et subissons aujourd’hui, à l’heure prévue, les premiers symptôme de cet effondrement.

Pourtant nous préférons nous focaliser sur le seul climat, parfois jusqu’au ridicule. C’est ainsi qu’un responsable Vert s’est étonné lors d’un vote sur le financement d’un aéroport, qu’on ne parlât pas du climat, alors que le CO² étant peu sensible aux frontières, le fait qu’un avion décolle d’ici plutôt que de là, n’a aucune influence sur notre avenir climatique. Il ne s’est, en revanche pas demandé avec quoi les avions en question allaient bien pouvoir voler... peut-être parce que poser cette question équivalait à ouvrir une boite de Pandore que personne ne souhaite voir ouvrir.
John-Michael Greer a suggéré que c’était parce que le changement climatique et l’épuisement des ressources racontent deux histoires distinctes :

L'histoire du changement climatique, si vous la réduisez à ses fondamentaux, est le genre de l'histoire que notre culture aime raconter - un récit sur la puissance humaine. Regardez-nous, dit-il, nous sommes tellement puissants que nous pouvons détruire le monde! L'histoire du pic pétrolier, en revanche, est le genre d'histoire que nous n'aimons pas - une histoire sur les limites naturelles qui s'appliquent, oui, même à nous. Du point de vue du pic pétrolier, notre statut auto-proclamé d’enfant chéri de l’évolution commence à ressembler à l'illusion qu'il est sans doute en réalité, et il devient difficile de ne pas se mettre à penser que nous pouvons avoir à nous contenter du rôle un peu moins flatteur d’une espèce qui, après avoir dépassé les capacités d’accueil de son environnement, en subit les conséquences.

En nous posant comme sauveur, voire même pour les "défenseurs de la cause animale" , en législateur de la nature, nous essayons d’évacuer de notre champ mental le fait que nous sommes tout aussi soumis à ses lois que le plus petit des protozoaires et que notre puissance est si illusoire que, pour paraphraser Jules Verne, un infime frisson peut la balayer de la surface de la Terre.

Cette perspective est si étrangère à notre culture que nous préférons la pire des anti-utopies urbaines – on pense à Soleil Vert, par exemple – à la vision d’un monde retourné aux forêts, pourtant bien plus réaliste au vu de notre histoire.

De ce point de vue, une grande partie du débat sur l’avenir de la planète n’est qu’une diversion. La vraie question n’est pas de savoir si la nature peut survivre à une civilisation technologique mais si notre civilisation peut survivre à sa rencontre avec les limites que lui impose la nature. A cette question, le Club de Rome répondait il y a quarante ans : peut-être, si nous agissons maintenant. Le temps à passé et ce peut-être est devenu est devenu un non, clair et vibrant. L’effondrement se profile à l’horizon et derrière lui de nouveaux siècles obscurs.

Ce n’est pas la fin du monde, mais se poser la question de la sixième extinction plutôt que celle du quatrième effondrement ne nous aidera pas à passer ce qui promet d’être un fort difficile cap.

Quant à la nature, rassurez-vous...


Nul ne se souciera qu'il soit arbre ou oiseau
De voir exterminé jusqu'au dernier des hommes


Et le printemps lui-même en s'éveillant à l'aube
Ne soupçonnera pas notre éternelle absence."

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