lundi 30 janvier 2012

En attendant les barbares


Les attitudes vis-à-vis des populations d'origine étrangères en disent plus sur les fantasmes de telle ou telle section du spectre politique que sur la réalité du problème. D'un côté, nous avons l’extrême-gauche et l'intelligentsia qui en gardé les réflexes idéologiques. Orpheline d'un prolétariat qu'elle a renvoyé à la "beaufitude" pour avoir failli à sa "mission historique", elle a reporté son affection sur les "sans" de toutes espèces, qu'elle transforme en une sorte de "ready-made des droits de l'homme". De l'autre côté nous avons l'extrême-droite recyclant à l'infini, mais avec infiniment moins de talent, le scénario du Camps des Saints, avec ses hordes de miséreux submergeant une civilisation occidentale émasculée.

Entre les deux, les gouvernement gère le problème avec plus ou moins d'humanité, ce qui, d'ailleurs est loin d'être une question accessoire, en utilisant des références édulcorées à l'une ou l'autre de ces mythologies.

Il va sans dire que ces mythologies n'ont qu'un rapport très lointain avec la réalité. Les immigrés réels et la plupart de leurs descendants n'ont qu'un intérêt très limité pour les illusions messianiques de l'intelligentsia et, comme le faisait remarquer Christopher Lasch au sujet de la classe ouvrière, ceux d'entre eux qui n'ont pas intégré la classe moyenne sont plutôt conservateur socialement et considèrent avec méfiance l'individualisme bourgeois-bohème dont ils sentent qu'il est antinomique de la véritable solidarité.

Quant à la logique des quotas, comme pour les femmes, elle ne sert qu'à fabriquer des "arabes de service" et à favoriser la carrière de ceux que leur formation et leurs aptitudes promettaient déjà à la réussite.

Le mythe de la submersion agité par les Frontistes, Identitaires et autres riposteurs laïques, elle, relève du fantasme. Des populations ont bien été submergées par des vagues d'immigrants dans le passé, assimilées, réduites à quelques enclaves isolées, voire même, comme les Tasmaniens, exterminées, mais c'était parce que les immigrants disposaient d'un avantage militaire et économique écrasant. Les colons européens ont noyé les amérindiens et les aborigènes australiens mais ne sont resté qu'aux marges de l'Afrique et de la Nouvelle Guinée et n'ont eu aucun impact démographique sur l'Inde.

La population européenne s'est fixée avec l'arrivée de l'agriculture. Nous descendons des chasseurs du paléolithique (à l'ouest et au nord) et d'agriculteurs anatoliens. Les mouvement de population subséquents se sont tous fondus dans la masse des populations installées. On ne constate de "remplacement de population" que sur les marches arctiques ou sibériennes, où l'expansion russe n'a eu à déloger que quelques peuplades éparses.

Les changements culturels, qui ont été nombreux dans l'histoire de l'Europe, n'ont été que cela : des changements culturels, généralement associés à des changements politiques et militaires. Quand un peuple tombe sous la domination d'un autre, quand une classe dirigeante est remplacée par une autre, d'origine étrangère, il est fréquent que la langue et la culture des envahisseurs remplace progressivement celle des autochtones. C'est pour cela que les Anatoliens parlent turc et non grec ou louvite et que les hongrois parlent une langue finno-ougrienne et non une langue slave comme leurs ancêtres.

Ce remplacement culturel n'est d'ailleurs pas automatique. Les français parlent une langue romane, pas la langue germanique de l'élite mérovingienne et carolingienne, pas plus que les anglais ne parlent la variété de français en vogue à la cour de Guillaume le Conquérant.

Ce qui est certain, en revanche, c'est des immigrants sans statut ni pouvoir militaire n'ont jamais pu imposer leur culture à une population un tant soit peu nombreuse. Ils peuvent, éventuellement, se maintenir s'ils sont concentrées géographiquement et repliés sur eux-même. Les Amish ont gardé leur langue germanique alors que les autres immigrants allemands se fondaient dans les masses yankees et les paysans albanais installés en Grèce par ce qui restait de l’Empire Byzantin ont conservé leur langue jusqu’à aujourd’hui grâce à l’isolement de leurs villages, mais ni les un ni les autres n’ont imposé leur culture à leurs voisins.

En fait, dans les sociétés modernes, marquées par de réelles possibilités d’ascension sociale, les immigrants et leurs descendants tendent à s’assimiler relativement rapidement car la réussite sociale individuelle est conditionnée par l’intégration dans la société dominante et l’adaptation à ses valeurs. Pour devenir quelqu’un en France, vous devez parler Français et vous adapter aux valeurs de la République.

Cela correspond, peu ou prou, à la conception communautarienne, telle qu’exposée par Amitai Etzioni. Les immigrants, y compris de deuxième ou de troisième génération, doivent pouvoir cultiver leur culture, leur langue et leur religion propre dans un cadre privé, mais en tant que citoyens ils doivent être loyaux envers la République et adhérer à ses valeurs, même si, toujours en tant que citoyens, ils ont le droit d’agir pour influer sur sa politique. Contrairement aux minorités autochtones, leur culture n’a pas vocation à se maintenir ni leurs communautés vocation à se perpétuer autrement que comme un vague groupe de solidarité, à l’image des hiberno-américains.

Naturellement, l’adoption de telle ou telle religion ne fait partie dans aucun pays développé  des conditions nécessaires à une intégration réussie. Nous avons, en tant que civilisation, décidé que la citoyenneté et la religion étaient deux choses distinctes. On peut être un bon français, danois ou espagnol sans appartenir à la religion dominante. C’est le consensus séculier ou laïque qui s’est imposé, sous diverses formes, dans tous les pays occidentaux et ceux qui fustigent la "France des Mosquées" sans fustiger la "France des Église" se mettent clairement en dehors de ce consensus et ne peuvent se réclamer de la laïcité.

Ce qui est incompatible avec les valeurs d’une république et doit être combattu c’est l’extrémisme religieux, mais sur ce point les bloqueurs de centres IVG et les intégristes  manifestant devant Golgotha Pic-Nic  valent bien les salafistes et doivent être condamnés avec la même rigueur.

Là où les choses se compliquent, cependant, c’est que le mode d’intégration utilisée par nos sociétés modernes est basé sur une promesse d’ascension sociale, sinon pour les primo-arrivants, du moins pour leurs descendants. Cela donne aux immigrants des perspectives sans commune mesure avec celles que leur offrirait la solidarité communautaire.

Cela a parfaitement fonctionné tant qu’une croissance forte et continue de l’économie créait toujours plus d’emplois qualifiés et bien payés auxquels les fils et filles d’immigrants pouvaient facilement accéder. Il n’aura échappér à personne que ce n’est plus exactement le cas.

Nos sociétés requierent pour fonctionner convenablement un approvisionnement constant en ressources rares et en énergie bon marché. Or, ces ressources et cette énergie ne sont pas renouvelables et nous arrivons au point, prévu par le Rapport Meadows il y a quarante ans, où leur disponibilité va se réduire tendanciellement. Ce que cela signifie c’est que nous devrons assumer le coût de nos infrastructures avec toujours moins de ressources. On peut y arriver, en les concentrant sur les fonctions essentielles, ou plutôt sur ce que les groupes dirigeants (pluriel) considèrent comme les fonctions essentielles – et vous pouvez être sûr que leur propre prospérité figurera assez haut sur la liste.

C’est d’ailleurs en gros ce que nous vivons aujourd’hui avec une croissance durablement atone – et probablement négative en terme de création de richesses réelles – et des états qui, ne pouvant se financer par la dette ou l’inflation deviennent de plus en plus impuissants.

Tôt ou tard nous atteindrons un points de rupture, ou plutôt, pour reprendre l’analyse de Greer, plusieurs points de rupture successifs formant un déclin en escalier entrecoupé de périodes de relative stabilité.

Il est notoirement difficile de prédire l’avenir, mais cela risque d’avoir au moins deux types de conséquences.

D’abord la compétition pour un gâteau qui ne cessera de se réduire va s’intensifier et mener à la montée de mouvements extrémistes. Si nous enfermons les immigrants et leurs descendants dans leur altérité, et l’extrême-gauche a autant de chances d’arriver à ce résultat que l’extrême-droite, la religion et une sorte de pseudo-ethnicité reconstruite risquent de devenir une ligne de fracture de plus dans une société qui en aura déjà accumulé un embarrassant surplus.

Ensuite les états ne peuvent que s’affaiblir au fur et à mesure que leurs ressources diminueront et ils seront de moins en moins capable de contrôler des flux migratoires qui ne peuvent que s’intensifier dans un monde que le changement climatique rendra de plus en plus instable. Là encore, les chances qu’une vague migratoire sans organisation politique arrive à imposer sa culture ou sa religion sur un vaste territoire sont très faibles. Ce qui peut se produire, en revanche, c’est une intensification des conflits avec les divers courants nationaux-populistes, les riposteurs laïques et leurs épigones dans le rôle du boute-feu.

La tentation du bouc-émissaire sera alors très forte, et même si le scénario de l’analyste américain Ralph Peters, selon lequel "les musulmans auront de la chance s’ils ne sont qu’expulsés" ne reste qu’un scénario, on ne peut totalement l’exclure quand on lit les discours haineux de certains.

C’est d’autant plus absurde que des discours du même genre ont, semble-t-il joué un rôle dans le seul exemple réussi de "colonisation culturelle" réussie menée par des immigrants – et non des envahisseurs – sur un territoire relativement vaste. Cet exemple n’est pas mis en avant par l’extrême-droite car les envahisseurs étaient de grands blonds aux yeux bleus  - dans ce monde-là, on les préfère plutôt basanés. Il n’en est pas moins intéressant.

Au début du cinquième siècle, les romains ont abandonné ou ont été expulsés de Grande Bretagne dans des circonstances qui ne sont pas très claires. Les cités britto-romaines, issues des anciennes tribus celtes, ont retrouvé leur indépendance et ont semble-t-il commencé à se battre entre elles. Pour ce faire, elles ont, selon la tradition romaine, embauché des mercenaires saxons, de religion païenne, qu’ils installèrent sur leurs frontières.

On ne sait pas très bien ce qui s’est passé ensuite mais deux siècles plus tard l’Angleterre était divisé en royaumes de langue anglo-saxonne, de religion païenne... dont les frontières correspondaient peu ou prou à celles des anciennes cités britto-romaines et dont et dont les dynasties régnantes étaient partiellement d’origine celtes.

Le seul récit contemporain, le De Excidio et Conquestu Britanniae de Saint-Gildas donne la version suivante des événements :

Alors les conseillers, ainsi que le fier tyran Gurthrigern, roi de Bretagne, étaient tellement aveuglés, que, comme pour protéger le pays, ils scellèrent son destin en invitant parmi eux comme des loups dans la bergerie, les Saxons féroces et impies, une race haie à la fois de Dieu et des hommes, pour repousser les invasions des peuples du nord. Rien n'a jamais été aussi néfaste pour notre pays, rien n'a jamais été aussi malchanceux. […]


Ils ont d'abord débarqué sur la côte orientale de l'île, à l'invitation du roi malchanceux, et ils y plantèrent leurs serres acérées, apparemment pour combattre en faveur de notre île, mais hélas! En réalité contre elle.


Pourtant, ils se plaignent que leurs salaires ne sont pas payés, et ils aggravent volontairement chaque querelle, en menaçant de rompre le traité et de piller l'île tout entière s’ils ne reçoivent pas toujours plus. Bientôt, ils passent des menaces aux actes.

C’est beau comme du Christine Tassin et probablement aussi réaliste et productif.

Quand on sait que la dynastie qui unifiera l’Angleterre, celle des Cerdingas, a été fondée par un aristocrate celte – Cerdic de Wessex – on devine que les choses ont été un peu plus compliqués.

Il semble qu’alors que partout ailleurs dans l’ancien Empire Romain les germains ont fusionné avec les populations locales, perdant leur langue et leur culture, en Angleterre, deux sociétés se sont opposé sans se mélanger, et qu’une partie significative de la population autochtone a choisi de s’assimiler à la culture des immigrants, peut-être parce qu’elle leur offrait de plus grande perspectives de promotion sociale.

Les hurlements haineux de Gildas et de ses épigones ont sans doute joué un rôle dans cette fracture, et dans la victoire ultime du paganisme et de la culture anglo-saxonne.

Évidemment, rien ne dit que la France connaîtra jamais une situation comparable, même après que l’épuisement de nos ressources nous aient conduits à l’effondrement prévu par le Club de Rome il y a quarante ans. L’exemple britannique nous montre bien, cependant que les discours de haine de l’extrême-droite, comme les illusions communautaristes de l’extrême-gauche ne mènent qu’à un élargissement de fractures que nous avons tout intérêt à réduire tandis que notre civilisation touche aux limites de son mode de développement et entame ce qui sera probablement un long déclin.

Après tout, il est tout à fait possible que nos descendants aussi trouvent le commerce d’étrangers barbus plus agréable que celui de leur propre classe dirigeante enfermée dans ses privilèges, et qu’ils fassent les mêmes choix culturels que les britto-romains du Kent ou du Wessex. Il n’est d’ailleurs même pas dit que, dans le contexte de l’époque, ce soit une mauvaise idée.

samedi 21 janvier 2012

Pourquoi la recherche ne nous sauvera pas


L'écrivain britannique Arthur C. Clarke a écrit autrefois qu'une technologie suffisamment avancée serait impossible à distinguer de la magie. Pour la plus grande part de notre population, ce point est largement dépassé. La recherche scientifique est devenue la réponse unique et quasi incantatoire à toutes les contraintes que nous impose l'univers, et le scientifique, affublé de sa blouse blanche et de sa cornue, a pris la place du magicien des mauvais romans de fantasy dans notre imaginaire collectif.

Bien sûr, il n'est pas toujours bienveillant et si cette position est encore minoritaire, il ne manque pas, sur les franges du monde vert de luddistes radicaux qui, inversant l'opinion commune, font de la science et de la technique la source de tous nos maux avant de nous enjoindre à mener une vie chasse et de cueillette qui, pour la plupart d'entre nous, signifierait une vie relativement courte de gibier.

Lord Voldemort au lieu d'Albus Dumbledore, mais avec toujours la même omnipotence.

La réalité est, bien entendu, différente et ceux qui espère que la recherche scientifique et le progrès technique vont nous résoudre les problèmes qui assaillent notre civilisation risquent d'être déçus.

La science est avant tout une méthode de recherche destinée à obtenir des informations sur le monde qui nous entoure, ces informations pouvant être ensuite utilisée pour le manipuler. Elle a été développée pour la première fois par le philosophe arabe Abū 'Alī al-Ḥasan ibn al-Ḥasan ibn al-Haytham au Xème siècle dans sa Critique de Ptolémée. (oui, je sais, ce n'est pas gentil pour Riposte Laïque, mais si Christine Tassin avait de la culture, nous l'aurions tous remarqué)

Nous recherchons la vérité pour elle-même. Et ceux qui recherchent une chose pour elle-même ne se laissent pas distraire par d'autre.

Al-Haytham : père de la science
La méthodologie de al-Haytham fut ensuite reprise par divers intellectuels occidentaux, d'abord Roger Bacon, puis René Descartes qui lui donna sa première définition formelle. A la base il s'agit de se confronter à la réalité du monde pour formuler une hypothèse que l'on testera, via une expérience, pour vérifier sa validité. Cette expérience n'a d'ailleurs pas pour but de vérifier que l'hypothèse en question vraie, seulement qu'elle n'est pas fausse, et peut donc être utilisée comme un modèle approximatif de notre réalité.

Associée à l'exploitation des premières ressources fossiles au début du XVIIIème siècle, cette méthode nous a permis d'étendre considérablement le champs de nos connaissance et de développer une technologie extraordinairement complexe et puissante. De là est venue l'idée selon laquelle la science, et le génie humain dont elle procédait, pourrait vaincre toutes les difficulté. On retrouve ce thème dans la philosophie un peu naïve d'un Auguste Comte, mais aussi dans les romans Jules Vernes. On en trouve l'illustration dans sa seule œuvre apocalyptique : L'Eternel Adam

Oui, en vérité, la comparaison entre ce qu’était l’homme, arrivant nu et désarmé sur la terre, et ce qu’il était aujourd’hui, incitait à l’admiration. Pendant des siècles, malgré ses discordes et ses haines fratricides, pas un instant il n’avait interrompu la lutte contre la nature, augmentant sans cesse l’ampleur de sa victoire. Lente tout d’abord, sa marche triomphale s’était étonnamment accélérée depuis deux cents ans, la stabilité des institutions politiques et la paix universelle, qui en était résulté, ayant provoqué un merveilleux essor de la science. L’humanité avait vécu par le cerveau, et non plus seulement par les membres; elle avait réfléchi, au lieu de s’épuiser en guerres insensées – et c’est pourquoi, au cours des deux derniers siècles, elle avait avancé d’un pas toujours plus rapide vers la connaissance et vers la domestication de la matière... […] Oui, l’homme était grand, plus grand que l’univers immense, auquel il commanderait en maître, un jour prochain...

Cette vision n'a, évidemment, qu'un rapport lointain avec la réalité. En plus d'être une méthode, la recherche scientifique est également une forme d'investissement : on dépense des ressources – humaines, énergétiques, matérielles – pour fabriquer du capital, en l’occurrence toute une série de connaissances et de techniques.

Le problèmes des investissements, c'est que contrairement à la magie, ils sont soumis à la loi des rendements décroissants. Comme on s'attaque en premier aux problèmes les plus faciles, plus le temps avance, plus il faut investir pour obtenir des résultats, jusqu'au moment ou le coût des investissements dépassent le gain qu'on peut logiquement en attendre.

A ce moment-là il est temps de passer à autre chose.

Il était encore possible au XIXème siècle de faire des découvertes majeures dans son garage. Pierre et Marie Curie ont découvert le polonium et le radium avec des moyens sans commune mesure avec ceux qui sont utilisés aujourd'hui pour synthétiser quelques atomes d'éléments ultra-lourds. Cette possibilité a aujourd'hui pratiquement disparu, même dans le domaine informatique. Des astronomes amateurs peuvent encore découvrir des comètes ou des planétoïdes, Heiko Bleher peut encore parcourir les jungles à la recherche de nouvelles espèces de poisson, mais pour l'essentiel, la recherche scientifique est le domaine des gros laboratoires très bien financés.

Ce que cela signifie, c'est que le rendement de la recherche scientifique baisse de manière tendancielle. Jonathan Huebner, un physicien travaillant au Navail Air Warfare Center, a ainsi démontré que si on la mesure en brevet par habitant, le rendement de la recherche scientifique baisse depuis 1873, et représentait en 1995 à peu prés les deux tiers de ce qu'elle était alors.

La fin d'une technologie : la mise au musée d'Atlantis
Si cela ne correspond pas à notre expérience quotidienne, c'est que nous compensons en investissant toujours plus de ressources dans la recherche. Ces investissement ne se limitent pas au financement direct de la recherche. Il inclut toutes les dépenses d'éducation, sans lesquels il ne peut y avoir de recherche, mais aussi une partie des dépenses culturelles – par exemple l'entretien des bibliothèques.

Si notre capacité à investir devait se réduire, la recherche scientifique risque fort de ne plus rien produire du tout. Et tous ceux qui ont lu le rapport Meadows savent que c'est précisément ce qui est sur le point d'arriver.

D'ailleurs, lorsqu'on examine l'état réel de la science, on s’aperçoit qu'elle ne progresse plus de manière significative que dans quelques secteurs – essentiellement l'informatique et les biotechnologies. Partout ailleurs les percées sont devenues une chose du passée. La physique moderne tourne autour de la théorie de la relativité et de la mécanique quantique, deux théories formulées au début du XXème siècle. Dans le domaine de l'énergie, la dernière percée – le nucléaire civil – date des années quarante, et les technologies miracles qu'on nous présente aujourd'hui sont souvent dans les tuyaux depuis des décennies et risquent fort d'y rester.

Même là où le progrès est encore rapide, comme dans l'informatique, il se traduit de moins en moins par des avantages concrets pour le commun des mortels. La mémoire vive et les capacités graphiques des ordinateurs continue de croître, mais cela ne se traduit plus par des gains de productivité, sauf dans des domaines très spécifiques – l'édition de Libre Office sur laquelle je travaille n'est que marginalement plus efficace que le Clarisworks de ma jeunesse.
Une voiture électrique en train de charger

Nous en arrivons même, pour préserver l'illusion d'un progrès rapide dans tous les domaines, nous recyclons des technologies qui faisaient fureur au début du XXème siècle. C'est par exemple le cas de la voiture électrique, qui dominait le marché américain entre 1897 et 1920, avec des performances sensiblement identiques à celles qu'on nous proposent aujourd'hui.

Nous avons même abandonné quelques technologies, même si nous refusons de l'admettre. Il n'y a plus de supersoniques civils dans no cieux, par exemple, et l'industrie spatiale est retournée aux fusées des années soixante.

Ce phénomène a toutes les chances de s'accélérer au fur et à mesure que nous nous heurterons aux limites de la croissances et que nos ressources commenceront à décliner.

En effet, les connaissances et les techniques que produit la recherche scientifique doivent être constamment entretenues, faute de quoi elles se dégradent et sont oubliées. Cela est arrivé relativement fréquemment dans l'histoire. Les grecs ont ainsi oublié l'écriture après la chute des cités mycéniennes. Cela peut nous arriver à nous aussi.

Nous disposons d'un système de formation extrêmement complexe et coûteux, dont le but principal est d'éviter que nos connaissances se perdent, en formant constamment de nouveaux spécialistes qui remplaceront ceux qui meurent ou partent à la retraite. Ce système se heurte, lui aussi, à la loi des rendements décroissants.

La réduction programmée de nos ressources affectera nécessairement sa capacité à remplir sa mission. C'est déjà le cas aux Etats-Unis, où la crise financière a poussé les université à fermer un certain nombre de département. En France, nous observerions plutôt une baisse de la qualité de l'enseignement. Dans les deux cas, le résultat final est le même : notre capacité à transmettre la connaissance à la suivante diminuera, à terme de manière drastique, et des technologies seront abandonnées. Cet abandon ne sera pas brutal et ressemblera plutôt au lent déclin du rêve spatial et l'acte final ne sera sans doute remarqué que par une poignée de nostalgiques.

Le reste d'entre nous sera sans doute occupé à retrouver des manières de vivre et des technologies adaptées à un monde de ressources rares et d’opportunités limitées, loin, très loin des promesses vaines des techno-optimistes.

lundi 16 janvier 2012

L’échec annoncé de l’écologie politique

Un meeting methodiste en 1839
La campagne d’Eva Joly, lancée en fanfare, semble s’être définitivement enlisée. La candidate verte, sans prise sur son propre parti et abandonnée, plus ou moins ouvertement par la plupart de ses soutiens, s’achemine douloureusement vers un score symbolique qui affaiblira, non seulement Europe-Ecologie-Les-Verts, mais aussi leur message.

Cette défaite annoncée doit beaucoup aux errements stratégiques des Verts eux-même, à leur incapacité de se doter de leaders d’envergure, à leur goût pour les jeux d’appareil et à la peur de la stratégie de rupture. EELV dispose, au niveau local d’élus de grande qualité, mais elle n’a pas su les mettre sur le devant de la scène nationale, préférant utiliser des personnalités extèrieures, sans expérience politique  Le problème, cependant est plus profond. La faiblesse constitutive des Verts tient à leur idéologie, non pas à l’écologie elle-même, mais à la manière dont ils la perçoivent et dont ils en font non pas un outil d’adaptation au changement, mais un ensemble de rituels dont l’objectif est d’écarter symboliquement ce changement.

Les Verts sont ce qu’en ethnologie on appelle un mouvement de revitalisation, semblable à ce qu’a été la Danse des Esprits pour les Indiens des Plaines ou les Grands Réveils pour le protestantisme américain. John Michael Greer définit ce genre de mouvement comme suit :

Ils apparaissent quand une société est touchée par des troubles répétés qui menacent les fondements de son identité et ses valeurs. Dans ces moments-là, quand les institutions ne remplissent plus leur rôle et les bases de ce qui donne sens à notre société se lézardent, se forme une grande demande pour une nouvelle vision capable de donner un sens à nos difficultés et de dessiner un chemin vers un avenir meilleur. Le fonctionnement des croyances populaires étant ce qu’il est, cette demande sera très vite satisfaite.

Les mouvements de revitalisation, comme les nouvelles voitures, sont dotés de fonctions standard et de toute une gamme de colifichets optionnels adaptés aux goûts de l'acheteur. Les caractéristiques de série incluent une critique approfondie de l'ordre existant destinée à montrer que les difficultés présentes sont dues au fait que les gens qui en souffrent, ou un autre groupe qui prendra le blâme à leur place, se sont mal comporté et ont étés punis ; une vision d'un avenir utopique qui arrivera juste après les troubles, si les bonnes décisions sont prises faites, et un plan d'action simple qui mènera des difficultés présentes à  l’avenir utopique promis par le mouvement en question. Le problème est que le plan d'action ne peut pas réellement délivrer la marchandise. C'est ce qui différencie un mouvement de revitalisation de, disons, un mouvement ordinaire visant à tel ou tel changement social. Les mouvements de revitalisation émergent lorsque toutes les options pratiques pour faire face à une crise sont inapplicables ou impensables.

L’écologie est basée sur idée simple : il y a des contraintes naturelles indépassables et ceux qui les franchissent courent au désastre. C’était le message du Rapport Meadows, plus connu en France sous le nom de Club de Rome : si nous continuons à croître nous allons saper les fondement mêmes de notre civilisation et nous effondrer. Pour ceux qui n’auraient pas remarqué, c’est à peu prés ce qui est en train d’arriver, à peu prés à la date et au rythme prévu.

Cette idée est en contradiction absolue avec l’idée de progrès qui fonde la vision que nous avons du monde depuis la victoire des Lumières sur l’ordre ancien issu du Christianisme médiéval. L’idéologie du progrès postule, en effet, que l’ingénuité humaine peut et va surmonter tous les obstacle, que demain sera nécessairement mieux qu’hier et que malgré les péripéties de l’histoire, l’humanité ne cessera d’avancer jusqu’au moment où, pour citer Jules Verne, elle « pourra se reposer sur le sommet enfin conquis ».

L’écologie politique aurait donc dû mettre en avant la notion de limite, l’impossibilité d’échapper à notre condition et la nécessité de chercher un sens à notre vie en dehors du progrès matériel.

Concrètement, cela signifie accepter une baisse de notre niveau de vie, revaloriser la notion de travail et recentrer notre société sur la communauté locale.

Le problème c’est que ce programme n’est pas très populaire auprès d’une population qui en est venu à considérer un haut niveau de vie comme un droit de naissance. Il l’est encore moins auprès de classes moyennes supérieures héritières du jouir sans entrave soixante-huitard, dont le principal objectif, aujourd’hui, est de préserver leur statut tout en s’achetant une bonne conscience.

La réponse logique a donc été, pour les écologistes, d’accumuler les actions symboliques et prétendre qu’ils constituaient un changement de civilisation, tout en faisant taire ceux qui, en leur sein, œuvraient pour une véritable société soutenable et étaient prêts à en payer le prix. Bien sûr, nombre de ces actions vont dans le bon sens – réduire notre consommation énergétique est certainement une bonne idée – mais croire qu’elles vont suffire est aussi illusoire que l’était pour les indiens des plaines de croire que la danse des esprits allait ramener les bisons et renvoyer les blancs de l’autre côté de l’océan.

La capacité de notre planète à supporter une civilisation aussi complexe que la notre se réduit inexorablement, du fait de l’épuisement des ressources, du changement climatique et de ce que Joseph Tainter appelle les rendements décroissants de l’investissement marginal dans la complexité sociale. En fait, comme le souligne un des auteurs du Rapport Meadows, Dennis Meadows, il est probablement trop tard pour inverser la tendance.

Il n’y aura plus d’études basées sur World3, cependant. Le modèle ne peut plus jouer son rôle, qui était de nous montrer comment éviter l’effondrement. Dans les conditions actuelles, aucune hypothèse de départ n’aboutit à autre chose qu’à un effondrement. Il n’y a aucun intérêt à décrire une série de scénarios catastrophes.

La réponse la plus logique face à cette menace serait d’admettre son inéluctabilité et de se préparer, mais cela reviendrait à abandonner l’idéologie du progrès et à détruire les classes moyennes supérieures qui n’ont aucune place dans une société en voie de simplification. C’est naturellement aussi impensable que d’accepter la fin des bisons pour les Sioux. On élève donc à la place un rempart rituel fait de panneaux solaires et de marchés bio.

Il n’est plus possible, depuis les années 80 au moins, de prétendre que le niveau de vie augmente, mais là encore, on n’en déduit pas que la notion de progrès est caduque. En ce contente d’en redéfinir les termes. L’accent n’est plus mis sur le social, mais sur le sociétal. Dans certains cas c‘est une bonne chose – le mariage des homosexuels est certainement une réforme nécessaire. La plupart du temps, cependant, il s’agit d’un écran de fumée projeté par une classe privilégiée pour lui permettre de continuer à se dire progressiste tout en défendant bec et ongles son mode de vie.

La réponse la plus adaptée serait un retour, progressif, à l’économie domestique et à la solidarité communautaire, mais cela implique le démantèlement d’une grande partie de nos bureaucraties publiques et privées et la réorientation des ressources vers des fins productives. Cela implique aussi un poids accru de la communauté dans notre vie de tous les jours, et donc une entrave certaine à la jouissance. Ce n’est pas très éloigné de la vision d’un Christopher Lasch ou d’un Jean-Claude Michéa, mais c’est à des années-lumière de l’idéologie libertaire des classes moyennes supérieures.

Là encore, le résultat est un mur rituel fait de féminisme victimaire et de défense des sans-papiers ou de telle ou telle minorité lointaine qui permet de se démarquer d’un peuple réel renvoyé à sa « baufitude ».

La pensée verte ne peut dans ces conditions qu’échouer, car son propos est justement de sauvegarder le mode de vie d’une classe condamnée dans un monde condamnée. Même si par hasard elle devait arriver au pouvoir, ce qui est peu probable au regard de ses errements stratégiques, elle ne pourrait être que le syndic de liquidation de ses propres idéaux. Il n’y a pas de place pour un progressisme individualiste dans un monde où la fin du progrès forcera un retour au communautarisme.

Cela ne veut pas dire que l’écologie, elle-même, est condamnée à disparaître. Déjà les forces politiques traditionnelles l’ont intégrée dans leur discours, projetant leur propre mur rituel destinée à leur propre clientèle idéologique (croissance verte, planification écologique, décroissance...). Ces tentatives sont vouées à l’échec, car elles aussi visent à préserver un monde condamné. Dans leur ombre se développe des discours que Kurt Cobb qualifie d’ ecologically-grounded Green. Ceux-ci reconnaissent qu’il est vain de vouloir sauver la société d’abondance et que l’objectif à atteindre est une société d’artisanat et d’agriculture qui aurait conservé certaines des avancées de la société industrielle. Là encore cette vision n’est pas très loin de celle de Jean-Claude Michéa. Il est douteux qu’elle arrive aux affaires mais justement parce que son propos n’est pas de produire une société d’abondance, mais bien de sauver d’une inévitable débâcle ce qui peut encore l’être, elle a une chance d’avoir un impact réel sur notre futur.

C’est vers ce discours à la fois plus radical et plus modeste qu’il nous faut désormais nous tourner.